Connaître

Né avec les révolutions fauve et cubiste, mais libre de toute attache idéologique avec quelque école que ce soit, amoureux des lieux où il vivait, mais libre de tout attachement étroitement régionaliste, Jean Dries a multiplié dans son atelier les expériences plastiques : « impressionniste » en Argentine (1940 – 1943), « fauve » dans l’immédiat après-guerre (« période rouge » des années 1944 – 1947), plus « cubiste » dans les années 1950 – 1960, puis de nouveau « fauve » à la fin de sa vie, son œuvre est diverse, sans doute, mais toujours profondément personnelle, guidée par deux principes fondamentaux : rester fidèle aux leçons de la nature – d’où le refus de l’abstraction, trop « cérébrale » à son goût – et se méfier de l’habileté, « Cette terrible habileté qui vous vient à force de voir, d’apprendre ».

Les origines (1905 – 1925)

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La ville de Bar-le-Duc

Si Jean Dries est né le 19 octobre 1905 en Lorraine (à Bar-le-Duc, dans la Meuse), c’est aux hasards de l’histoire qu’il le doit. Sa famille en effet, originaire des environs de Colmar, avait choisi la France en 1871, après l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne. Rien ne prédisposait donc le jeune Jean Driesbach à devenir un artiste, même si très jeune il commença à dessiner, lorsqu’en 1921 un accident l’immobilisa huit mois durant. Pour tromper l’ennui, il se mit à dessiner, à peindre et à lire des livres d’art. Rétabli, il fut encouragé par son professeur de philosophie, qui lui fit rencontrer le peintre Jules Emile Zingg, et par sa ville natale qui lui permit, en lui octroyant un prêt d’honneur, de poursuivre ses études à Paris. Jamais cependant il n’oublia les leçons de la nature, dont il aimait tant les forêts aux lumières tamisées, ni sa brève expérience chez un maître verrier Barisien : les cernes rouges ou noirs dont il souligna parfois plus tard ses motifs ne sont pas sans rappeler les plombs des vitraux.

La formation (1925 – 1930)

4_LivresEntré, grâce à l’aide de sa ville natale, à l’école des Beaux Arts de Paris (ateliers du graveur Laguillermie, puis du peintre Lucien Simon) le jeune Jean Driesbach y noua des amitiés solides avec de futurs artistes, de futurs médecins ou ingénieurs qui tous prirent l’habitude de le surnommer Dries … il en fit son nom d’artiste. C’est le temps des musées et des premiers contacts directs avec les artistes dont il n’avait jusque là qu’une connaissance livresque : Cézanne, et Courbet, pour le dix-neuvième siècle, Michel-Ange, Titien, Véronèse, Tintoret pour la Renaissance Italienne, le Greco et Velasquez pour le « Siècle d’or » Espagnol. C’est aussi l’époque des premiers voyages vers le Sud de la France ou vers Londres où les hasards d’une exposition lui font découvrir l’art Hollandais (Rembrandt, Van Gogh). Mais la vie est difficile pour un artiste débutant : s’il réussit à vendre quelques œuvres à ses amis, le jeune Jean Dries doit aussi se livrer à des travaux qu’il qualifie lui-même d’ »alimentaires » : retouche de gravures, décoration de bonbonnières, sanguines « dans le goût du dix-huitième siècle », etc …

La reconnaissance (1930 – 1940)

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Le quai d’Anjou

Le début des années 1930 marque la reconnaissance de Jean Dries comme artiste peintre : il expose dans les salons depuis 1928 (Indépendants, Salon d’Automne), mais c’est en 1929 qu’il fait sa première exposition personnelle dans l’escalier de la Comédie des Champs Elysées (47 peintures et aquarelles). En 1930, l’état lui achète un « sous-bois » : c’est le premier achat d’une longue série. En avril 1932, dans l’art et les artistes, l’écrivain Daniel-Rops lui consacre un premier article. Enfin, dans une rencontre mémorable, Vlaminck lui déclare en 1936 : « Pas mal, la carpe, vous êtes peintre ! ». Il peut donc se fixer à Paris, où il fait venir sa famille, Avenue Paul Appel, puis Avenue Ernest Reyer, tout près de la « zone » où il retrouve les arbres et les jardins qu’il apprécie tant. C’est aussi l’époque des premiers contacts avec la Normandie et Honfleur, où il s’installe en 1936. Mais il lui faudra du temps pour apprécier les lumières tout en nuances de l’estuaire de la Seine. Car ce normand d’adoption ne veut pas perdre le contact avec le soleil et les ciels éclatants du Sud. Il ne cesse donc de voyager vers l’Espagne, le Midi de la France, l’Italie, les Alpes et la Suisse. Chaque été ou presque le voit ainsi voyager en compagnie de ses amis.

La maturité (1940 – 1973)

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Dries à Santiago du Chili

Marié à la fin de 1939, Jean Dries, qui n’est pas mobilisable du fait de sa santé, est pressenti par l’état pour organiser à l’université de Mendoza, en Argentine, le département de peinture. Malgré ses réticences, – il avait tiré pour conclusion de deux brèves expériences de professeur de dessin, à Sétif en 1935, puis à Langrune en 1939, « J’ai vraiment autre chose à faire » – il accepte et s’embarque le 24 avril 1940 à Marseille. Mais l’accueil sympathique des Argentins ne peut atténuer les angoisses éprouvées pour les siens, restés en France ! Débarqué en juin 40 à Buenos-Aires, il décide, après une année d’enseignement, et malgré les propositions de l’université, de regagner la France en décembre 1941. Après un séjour de quelques mois au Portugal, le voilà de retour à Paris, où il s’installe définitivement au 15 quai d’Anjou, dans l’Ile Saint Louis, où il se remet à son seul vrai métier : la peinture. Son existence est désormais partagée entre Paris, son atelier et son véritable port d’attache, et la ville de Honfleur, pour laquelle il éprouve une affection toujours croissante. Il y noue des liens étroits avec des artistes nombreux, avec lesquels il fondera la « Société des Artistes Honfleurais » (1949) et avec des amis fidèles avec lesquels il créera en 1956 la « Société des Amis du Musée Eugène Boudin », musée dont il était depuis 1953 le conservateur « intérimaire » (en fait, jusqu’à sa disparition en 1973 !). Il était trop attaché cependant aux lumières méditerranéennes pour renoncer aux voyages, toujours vers le Sud de l’Europe de préférence, même si l’arrivée à son foyer, en 1949, d’un fils rendait plus délicate l’organisation des déplacements.

Aurel
Le village d’Aurel

C’est ainsi qu’à force de parcourir la Provence, il y découvrira le village d’Aurel dont il fera, à partir de 1965, son troisième « port d’attache ». Enfin, au soir de sa vie, la ville de Paris, en lui décernant en 1958 son Grand Prix des Beaux Arts pour la peinture, et l’état, en l’élevant en 1962 à la dignité de chevalier de la légion d’honneur reconnaissent son importance d’artiste et de défenseur des arts. Il disparaît le 26 février 1973, en plein travail puisqu’il laisse inachevée une dernière œuvre : « La montagne Sainte Victoire », hommage à l’un de ses maîtres : Paul Cézanne.